Je suis dans la villa qui donne sur la mer au nord de l’île (130). Cette villa appartient à mon prof de maths dans la vraie vie, qui, dans l’île, est le surveillant des quatre piscines olympiques (121). Cette villa a trois étages. Elle est relativement petite pour une villa. D’ailleurs, on dirait plutôt une maison, une maison luxueuse et moderne, mais de toute évidence, une maison. Il est communément admis dans l’île que cette maison est en fait une villa. Comme tout le monde appelle cette maison «La villa», je n’ose pas m’y opposer, de peur de vexer le gentil prof de maths qui m’accueille dedans. La villa est renommée pour sa grande baie vitrée donnant sur la mer (131). Le prof de maths organise souvent des cocktails-party où tout le gratin intellectuel de l’île vient s’y retrouver afin de discuter des nouvelles actualités intelligentes concernant les super-mega-supra-conducteurs-quantique autour de petits-fours minuscules à la crevette sauce samouraï. Pour ma part, je suis installée au sous-sol (132). Le prof de maths l’a rénové récemment afin d’en faire une résidence pour les artistes qui aiment les maths. Compte tenu que je suis très bonne en maths, le prof de maths m’a permis d’y rester exceptionellement (étant donné que je ne suis pas une artiste) afin d’imprimer mon rapport de stage de 3e que j’ai effectué dans l’agence immobilière de mes parents.
Mon rapport de stage ne semble pas vouloir sortir de l’imprimante. Je me demande si elle est cassée. Je tape dessus avec ma claquette. Des images inconnues commencent à s’imprimer toutes seules. Elles contiennent souvent une fleur avec des lunettes de soleil. Je reconnais cette fleur d’un dessin animé. Je comprend qu’il s’agit d’appels à l’aide subliminaux envoyés par moi même, qu’en fait, c’est moi la fleur à lunettes de soleil, et que je suis coincée dans l’imprimante.
Les papiers sortent de plus en plus vite. Je ne peux pas tous les analyser pour comprendre les messages codés qu’ils contiennent. Certains papiers sont ornés d’écritures illisibles au pastel gras, que j’ai du écrire dessus à la main dans l’imprimante, car il est possible pour une imprimante d’imprimer du pastel gras. Des papiers de plus en plus grands sortent de l’imprimante, pliés dans la longueur. Je commence pleurer. Je n’ai aucun idée de comment je vais pouvoir me sortir de l’imprimante.
Des centaines de paquets sont imprimés violemment, tous emballés dans du papier journal. Ils sont attachés par des petites cordes sur lesquelles sont accrochés des pendentifs. Aucun n’a le même format. Des numéros sont écris dessus, comme des matricules. J’en déplie un. Il contient une infinité d’autocollants contenant des images aléatoires. Je comprend que ces images n’existent pas. Qu’elles ne sont pas réelles et cela me fait très peur. Je tremble comme une feuille de magazine gratuit qu’on distribue à la sortie du métro un matin venteux et que personne ne lit. Je titube. Je n’ose pas continuer a ouvrir les paquets. L’imprimante ne cesse d’imprimer de nouveaux objets. Maintenant il y a des chaises, des lampes, des vélos, tous emballés dans du papier journal. La situation est ingérable. Je me dis que je ne pourrai jamais tout comprendre, que mes appels à l’aide sont vains, qu’ils sont trop cryptiques et envahissants.
J’abandonne l’idée de me sauver de l’imprimante. Je fais le choix de partir de cette salle qui fait peur. Afin de me relever, je tend la main vers une planche devant moi. La planche part en arrière comme tirée par un fil. Elle monte les escaliers au fond de la salle (134). Je décide de la suivre car je veux retrouver mes parents aux premier étage (133) en me disant qu’ils pourront me protéger de ce mal invisible.
J’appelle ma mère. Je crie maman en sanglotant comme une abrutie. Elle me répond de venir les rejoindre. Sa voix semble lointaine. Elle me dit qu’ils ne peuvent pas descendre m’aider car ils sont train de se faire faire un massage. Sa voix est calme. "Tu as juste à nous rejoindre au 8e étage" (631).
Mais cette villa n’a que 3 étages.
Je lève la tête et la maison s’est allongée. De nouveaux étages sont apparus. Si mes parents sont au 8e, c’est que les étages entre me sont inconnus. Je réfléchis. Mes parents ne m’auraient jamais dit qu’ils étaient au 8e étage, car mes parents savent que cette villa n’a que 3 étages. Ce ne sont pas mes parents. Je suis seule. Je regarde vers le bas, les escaliers s’enfoncent à l’infini. Je suis coincée.
La planche s’arrête devant la porte de premier étage.
Elle tape contre la porte qui elle,
s’entrouvre.
Des cheveux commencent à s’étaler dans l’ouverture. Ils glissent le long des marches jusqu’à effleurer le bout de mes pieds nus. Je sais à qui appartiennent ces cheveux. Mais ce n’est pas comme d’habitude. Ils semblent s’être détachés de leur détenteur, comme s’ils avaient leur volonté propre, comme s’ils essayaient de le fuir. Ils commencent à grimper le long de mes chevilles, ils poussent des petits gémissements de peur.
(920)
Je relève la tête afin de distinguer si elle va sortir de la porte.
Je plisse les yeux.
Les cheveux ont réussi à monter jusqu’à mon buste.
Mes bras sont maintenant immobilisés,
mais je ne flanche pas,
je veux comprendre pourquoi elle a changé,
et pourquoi ses cheveux la fuient.
J’attend qu’elle me dise không .
Mais elle ne dit rien.
Silence.
Silence.
Silence.
Là je comprends.
Je comprends qu’elle est morte.
Que j’attends qu’une morte me parle.
Mais les morts ne parlent pas.
Il fallait leur parler avant.
C’est bête.