(80) Je sonne à la porte plusieurs fois avant que la petite dame aux cheveux rasés vienne m’ouvrir. Elle est accompagnée d’un chien rabougri qui perd ses poils comme un édredon ouvert.
On s’engouffre dans une suite de cours intérieures reliées par des petits couloirs. On peut voir le ciel à travers des tôles en plastiques sales. De temps en temps, je croise le regard de vieux qui m’observent à travers leurs fenêtres cassées. La dame s’arrête devant une petite porte dont la peinture verte s’écaille. Elle l’ouvre et s’enfonce dans les ténèbres. Le chien attend sagement sur le paillasson. Je finis par la suivre.
C’est super le bordel. La pièce, si elle était vide, s’apparenterait probablement à une cuisine imitation chalet, avec de grosses plaintes en bois et une déco rustique. Mais ici, l’espace est complètement obstrué. Chaque recoin est occupé par des centaines de petites figurines religieuses. Les vierges Marie se mélangent aux bouddhas et aux chats de bonne aventure. La seule source de lumière provient d’une lampe imitation champignon, projetant un faible halo jaunâtre. La dame me crie dessus en me reprochant de ne pas avoir enlevé mes chaussures. Je les pose à côté d’une collection de figurines de grenouilles, notamment une avec un chapeau haut de forme. Elle me propose un yahourt à boire et je refuse gentiment après avoir remarqué que la date de péremption était passée de presque trois mois.
La lumière du frigo me permet de remarquer un court instant que tous les murs sont recouverts de journal.
Des lampions commencent à s’allumer un par un, nous invitant ainsi à s’assoir autour de la table basse en bois vernis. Je me laisse tomber sur un coussin brodé, le pied meurtri par une figurine sauvage sur laquelle j’ai malencontreusement marché.
La dame met une espèce de chemise en papier et la noue avec une grosse corde tressée rouge. Elle s’assoit en face de moi et pose ses deux mains sur ses genoux. Son regard est très sérieux. Elle prend ma main et commence à hocher la tête d’un air approbateur.
« Ton pouvoir est très grand, si tu n’apprends pas à le contrôler, il va te conssumer de l’intérieur.
Tu es à la frontière entre le royaume des vivants et de la mort.
Tu portes la marque du monde invisible. C’est extrêmement rare.
Le processus a commencé, tu ne pourras jamais revenir entièrement dans le monde tangible.
Tu dois vivre avec le trouble maintenant.
Tout ce que je peux faire, c’est de te donner ma bénédiction ».
Je n’en attendais pas moins de la chamane la plus influente du 94.
(d’après google)
(J’ai quand même mis deux mois à avoir un rendez-vous).
Elle se relève et met un chapeau en papier avant de saisir une branche qu’elle commence à agiter autour de moi. La branche se rapproche de plus en plus et vient griffer mon visage, puis mes bras. La branche déchire mes habits. Je saigne. Aucun son ne sort de ma bouche.
(621) Les coups finissent par cesser. La branche se pose sous mon menton et je relève la tête. Une larme coule sur ma joue. La pièce est baignée de lumière. Il y a de la moquette sur le sol et de grandes baies vitrées qui donnent sur des grattes-ciels. La seule décoration est constituée de quelques bureaux avec dessus des PC débranchés et des chaises renversées sur le côté.
Au milieu de la pièce il y a la biche de la dernière fois.
Elle m’a dit un truc.
Mais quand je me suis réveillée,
je ne m’en souvenais pas.
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